Lors du dernier salon PRODURABLE 2024, Sandrine L’Herminier a présenté son livre « Repenser son business model » dans une table ronde d’auteurs organisée par les éditions ContentA : Planète Livres.
L’autrice partage des pistes concrètes pour les entreprises qui souhaitent intégrer la sobriété et la responsabilité dans leur stratégie.
Voici l’intégralité de l’échange avec des idées audacieuses et inspirantes pour réinventer votre modèle d’affaires.
Claire-Agnès Gueutin : Sandrine, tu as été journaliste économique et tu as travaillé pour des médias comme Le Monde, La Tribune, Les Échos. Tu as fondé Positive Impact en 2010 et tu as publié un livre aux éditions ContentA : « Repenser son business model ».
Dans ce livre, tu parles de la nécessité de reconsidérer la sobriété, de savoir renoncer et même de mettre en récit la transformation. Est-ce que tu peux nous expliquer comment ces pistes peuvent aider à changer un business model ?
Sandrine L’Herminier : L’idée principale est de replacer le business model dans un cadre plus global, qui prenne en compte les limites planétaires et la justice sociale.
Aujourd’hui, la sobriété fait encore peur aux entreprises, car elle va à l’encontre du modèle basé sur la croissance à tout prix. Pourtant, c’est essentiel. Les entreprises doivent dépasser la RSE, passer d’un toujours plus à un toujours plus essentiel.
Il ne s’agit pas seulement de réduire les coûts, mais aussi de questionner la pertinence de l’ensemble de l’activité de l’entreprise, en se demandant par exemple : est-ce que je peux rationaliser mon portefeuille de produits ou services pour l’aligner davantage avec ma raison d’être ?
Un exemple concret
Nexans. Cette entreprise industrielle, a réduit fortement son portefeuille clients en se concentrant sur ceux qui étaient à la fois les plus rentables et les plus vertueux sur le plan environnemental. Ce choix a permis à l’entreprise de réduire son empreinte carbone, de simplifier ses opérations, tout en boostant sa rentabilité. C’est une démarche audacieuse, mais qui montre que la sobriété peut être un levier de transformation.
CAG : Le renoncement, comme tu l’évoques, reste un sujet délicat pour les entreprises. Comment peuvent-elles envisager de renoncer à certaines activités tout en restant rentables ?
SLH : C’est un grand saut dans l’inconnu pour la majorité des décideurs. Ces sujets sont encore tabous car ils impliquent de renoncer à la croissance à tout prix. Les questions qu’ils pourraient se poser sont les suivantes : « si mon activité génère trop d’externalités négatives, cette activité doit-elle perdurer ? Mes produits et services répondent-ils aux besoins essentiels de la population ? Ce sont des choix stratégiques impactants qui demandent de la réflexion et du temps mais qui sont nécessaires pour repenser vraiment son business model.
Un exemple concret
Si je prends l’exemple d’Expanscience, cette entreprise a renoncé à l’innovation à tout prix en se posant deux questions : est-ce que cette innovation est utile à mes clients et à la société ? Est-ce que son analyse de cycle de vie (ACV) est supérieure à celle des produits existants ? Si la réponse est non, alors l’innovation ne sera pas lancée. Encore une fois, ces décisions ne sont pas anodines ! Elles demandent beaucoup d’audace et de conviction de la part du dirigeant.
CAG : Il y a aussi cette idée de narratif mentionné dans votre livre. Pourquoi est-il important de « changer le récit » autour de la transformation du business model ?
SLH : Quand on parle de sobriété, de renoncement et de transformation des business models, il est crucial d’accompagner cette transformation dans le narratif de l’entreprise. Il faut mettre en récit cette transformation.
Il y a trois leviers pour faire évoluer ce narratif.
- Le premier, c’est l’aspect économique. Aujourd’hui, dans les rapports RSE, les rapports d’activités, les entreprises parlent encore beaucoup de profit, de croissance, de retour sur investissement et de court terme. Or, il faut que l’entreprise intègre dans son discours le binôme profit/utilité sociale, sans tomber dans le greenwashing, bien entendu.
- Le deuxième levier, c’est le lexique de la transition écologique. Le vocabulaire actuel est trop technique, trop scientifique. On parle de SBT, de scénarios climatiques, de bilan carbone… Ce n’est pas un discours qui engage vraiment. Il faut le rendre plus attractif, moins anxiogène et plus inspirant. Comment rendre sexy la sobriété, le marché de l’occasion, ou encore les nouveaux usages ? Là, je lance un appel aux agences de communication et aux directeurs de communication pour qu’ils s’emparent de ces sujets et les traitent avec créativité.
- Et le troisième levier, c’est un travail auprès des marques. Nous sommes encore dans un modèle où la consommation détermine l’identité des individus. Il faut changer cela et faire en sorte que les marques assument pleinement leur responsabilité dans le développement durable. Je pense à des exemples comme Fnac Darty, qui a modifié sa plateforme de marque pour insister sur la durabilité et qui a proposé de nouveaux services comme l’abonnement pour la réparation à vie de ses produits.
CAG : Et au niveau des forces de vente, comment penses-tu qu’elles devraient évoluer dans cette transformation ?
SLH : Il faut vraiment transformer les mentalités au sein des forces de vente. Aujourd’hui, elles sont encore orientées vers le volume, vers la vente à tout prix. Mais demain, elles devront vendre de l’essentiel : de la sécurité, de la tranquillité, de la réparabilité, et du réemploi.
Cela implique plusieurs leviers : changer les argumentaires de vente, s’approprier de nouvelles grilles tarifaires basées sur l’abonnement ou le paiement à l’usage, et adapter les modes de rémunération basés sur les taux de produits recyclés ou réparés, par exemple.
Ces changements doivent aussi se faire en interne comme à l’interne en la culture et les codes de consommation : au niveau des entreprises, des méthodes de vente et des consommateurs.
