Toutes les activités sont concernées par la responsabilité, le numérique ne fait pas exception. Frédérick Marchand a créé Digital4Better pour promouvoir un numérique à impact positif. Rencontre avec un intrapreneur devenu entrepreneur pour transmettre des valeurs et pour être utile à la société, un acteur de la TechForGood au sein de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS).
Comment es-tu devenu entrepreneur ?
Ma carrière commence dans des grands groupes. Comme je ne tenais pas en place et que je voulais toujours faire des choses nouvelles, j’ai lancé un nouveau produit au bout de seulement une année d’ancienneté dans une grosse ESN (Entreprise de Services Numériques, ex SSII) de 10 000 personnes. Je suis parti, tout seul, chercher des clients pour ce nouveau produit. C’était une mission entrepreneuriale mais de façon sécurisée, au sein d’une société, donc de l’intrapreneuriat.
Et j’ai recommencé sur un autre projet en repartant de zéro. Mon entourage professionnel ne comprenait pas que je veuille repartir de rien pour créer quelque chose. Les professionnels sont trop souvent jugés sur le nombre de personnes qu’ils dirigent ! Du côté de mes amis, les entrepreneurs considéraient que l’intrapreneuriat n’est pas vraiment de l’entrepreneuriat parce qu’il n’y a pas de risques financiers. En cas de perte, c’est mon employeur qui l’assumait.
D’ailleurs, sur le deuxième projet, j’ai perdu 400 000 €. Si j’avais été à la tête d’une société tout juste créée, je n’aurais pas pu supporter cette perte et l’entreprise aurait coulé. Être dans un grand groupe m’a donné la possibilité de continuer et deux ans plus tard, la perte était essuyée et le projet était bénéficiaire.
Mon envie d’entreprendre a toujours été là. L’idée est devenue de plus en plus concrète et j’ai pris la décision à 44 ans. Je crois beaucoup aux cycles, j’ai suivi des cycles d’environ 5 ans. À la fin d’un cycle, je me demande toujours ce que je vais faire. Avant, je recréais un nouveau business au sein de la boîte dans laquelle j’étais. Mais là, j’ai créé ma propre entreprise. Si je ne le faisais pas maintenant, le prochain cycle m’amènerait à 50 ans et cela aurait peut-être été trop tard. Alors j’ai posé ma démission… en février 2020 et créé une société en sortie de confinement !
Comment s’est passée cette création d’entreprise en pleine crise ?
Mon entourage était très inquiet pour moi, mais je me sentais confiant.
Si on arrive à se lancer en pleine crise, c’est qu’on a une vraie proposition de valeur.
Le business plan a complètement volé en éclat mais je ne me suis jamais posé la question d’arrêter. Au contraire, la crise est un accélérateur de prise de conscience qui nous a confortés dans notre idée et dans notre vision d’une économie durable et d’un numérique responsable.
Cela fait 20 ans que je fais de la prospection et pour la première fois, quand je présente mon projet, la réaction est toujours positive.
Quelle est la mission de Digital4Better ?
La mission de Digital4Better est de promouvoir le numérique à impact positif.
La transition énergétique doit être cohérente avec la transition numérique.
Les entreprises veulent aller plus loin dans leur démarche RSE et elles acceptent enfin de travailler avec des entreprises de l’ESS. Un exemple marquant : pour les Jeux Olympiques de 2024 à Paris, 30 % des marchés sont réservés aux entreprises de l’ESS. C’est un vrai mouvement qui se met en route, dont le Mouvement Impact France (ex-MOUVES) est le meilleur représentant.
Les 4 co-fondateurs de Digital4Better ont en moyenne 20 ans d’expérience. Nous avons réuni les meilleurs talents du numérique et conçu une méthodologie agile à impacts positifs ainsi que des outils associés.
Le siège de Digital4Better est en région, à Rennes et l’équipe de 14 personnes se répartie entre Nantes, Rennes et Paris. Nous sommes nés dans les territoires pour être au plus près de la population française puisque 80 % de la population est en dehors de la région parisienne.
Comment les entreprises réagissent-elles à l’impact du numérique ?
L’impact environnemental du numérique commence à faire son chemin. En revanche, l’impact social du numérique n’est pas encore mûr. Cela prendra encore 3 ou 4 ans. C’est le même cheminement qu’avec la sécurité. Il y a encore 5 ans, personne n’était prêt à payer pour la sécurité dans le numérique. Et maintenant, tous les cahiers des charges prennent en compte le risque de cyberattaques.
Les gens ne font pas encore le lien entre social et numérique.
Par exemple, l’illectronisme passe inaperçu alors qu’un rapport du Sénat l’affirme clairement : « 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et près d’un Français sur deux n’est pas à l’aise. » Pour l’insertion sociale, l\\\’illectronisme est un vrai drame. Ce n’est pas parce qu’une personne est très à l’aise pour discuter sur un réseau social qu’elle est à l’aise pour s’inscrire sur le site du Pôle Emploi, faire une demande d’allocation sociale, etc. Les personnes qui ne sont pas habiles avec le numérique se dévalorisent et bloquent complètement face à leurs problèmes. Quand elles se rendent à un guichet physique et qu’on les renvoie vers un service en ligne, elles se sentent démunies et laissent tomber la démarche. L’État s’est engagé à digitaliser 100 % de ses services. Ce n’est pas obligatoirement une bonne nouvelle. La bonne nouvelle, ce serait 100 % des services accessibles, en digital et en physique, mais accessibles à tous.
Un autre exemple : la qualité du réseau. À l’heure où on parle de 5G, 10 % de la population française ont un mauvais accès au réseau avec une mauvaise bande passante. Certaines zones en France sont très mal couvertes.
Qu’est-ce qu’un entrepreneur selon toi ?
Un entrepreneur a envie de créer sa propre activité parce qu’il a une ou plusieurs idées auxquelles il croit et pour lesquelles il est prêt à prendre des risques.
Entreprendre, c’est se mettre en déséquilibre pour avancer.
C’est comme pour marcher : on doit accepter de lever un pied donc d’être en déséquilibre avant de reposer le pied plus loin. Un entrepreneur doit accepter d’être déséquilibré pour aller plus loin.
Les raisons pour lesquelles les entrepreneurs créent des entreprises sont variables : ce peut être pour réussir financièrement, pour revendre la société plus tard et réaliser une belle plus-value, par fierté d’être chef d’entreprise, parce que la personne ne peut pas être salariée et que c’est sa seule possibilité, etc. Chaque chef d’entreprise est différent.
Les raisons financières n’ont rien à voir dans ma création d’entreprise. J’ai créé Digital4Better pour défendre des valeurs et pour les transmettre. En créant cette entreprise, je transmets à mes enfants, non pas un héritage, mais l’exemple de créer soi-même et de s’impliquer dans un projet entrepreneurial qui a une utilité pour la société.
Les valeurs sont les garde-fous de l’entrepreneuriat.
La raison d’être d’une entreprise, c’est sa destination. Les valeurs servent de guides pour atteindre cette destination. Ensuite, ce sont les clients par leurs achats et les salariés par leurs actions qui font bouger les lignes.
Quelle est la principale différence entre l’intrapreneuriat et l’entrepreneuriat ?
Ce n’est pas le même stress ! Le plus gros stress d’un entrepreneur, ce sont les collaborateurs qui sont sous sa responsabilité, ce qui n’est pas le cas d’un intrapreneur. L’avantage de l’entrepreneur, c’est qu’il dispose de tous les leviers. Un intrapreneur est autonome mais il n’a jamais tous les leviers, il subit quand même les décisions de sa direction. C’est une autre forme de stress.
Quel lecteur es-tu et quel livre t\’a le plus marqué ?
Je ne lis pas beaucoup. Un jour, quelqu’un m’a conseillé d’acheter « La guerre des métaux rares – La face cachée de la transition énergétique et numérique » de Guillaume Pitron et je l’ai dévoré. Tout y est décrit, y compris le contexte géopolitique. C’est vraiment un livre passionnant que je recommande.
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